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Page:Cortés - Lettres à Charles Quint, trad. Charnay, 1896.djvu/244

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de la ville, c’était le partisan le plus acharné de la guerre, il s’appelait Ciguacoazin. Je lui fis de nouveau toutes les avances possibles, il me répondit que son maître ne viendrait jamais à moi, qu’il préférait mourir ; qu’il en était fort affligé, mais que je fisse ce que je voudrais.

À cette réponse, je l’engageai à rejoindre les siens et qu’ils se préparassent à combattre, car j’allais les attaquer et les massacrer ; ce qui arriva. Nous perdîmes cinq heures dans ces vaines négociations : pendant ce temps, les gens de la ville piétinaient les cadavres des morts, d’aucuns se tenaient dans l’eau, d’autres se sauvaient à la nage, pendant que d’autres se noyaient dans le grand bassin où se trouvaient les canoas ; la douleur de ces malheureux était infinie. De longues files d’hommes, de femmes et d’enfants, se dirigeaient de notre côté ; quelques-uns se jetaient à l’eau, pensant s’échapper plus vite, et mouraient asphyxiés au milieu de la multitude des cadavres ; l’eau salée qu’ils buvaient, la faim et la peste avaient enlevé plus de cinquante mille âmes à la ville. Les survivants n’avaient même plus ni la force, ni le temps de jeter les cadavres à l’eau, mais ils étaient amoncelés dans les rues où l’on ne pouvait passer sans les fouler. Comme une multitude d’habitants venaient à nous, je postai des Espagnols dans les rues où ils passaient afin que nos alliés ne s’acharnassent point sur les tristes débris de cette grande population. Je recommandai bien aux capitaines de nos Indiens qu’ils veillassent à ce que leurs gens ne tuassent plus personne ; vaine recommandation ; ce jour-là, ils en tuèrent encore et sacrifièrent plus de quinze mille.

Les principaux gens de guerre de la ville cherchaient encore à faire bonne contenance, ils se dissimulaient dans les coins sur les plates-formes des maisons, et jusque dans l’eau pour nous cacher leur maigreur et leur misère. Voyant qu’il se faisait tard et qu’ils ne se rendaient pas, je fis avancer les deux grosses pièces ; mais ils avaient plus à craindre de la cruauté des Indiens que de nos deux machines et personne ne bougea. Je fis alors tirer le coup d’escopette ; à ce bruit, la petite place où les ennemis s’étaient groupés fut prise en quelques instants ; on jeta ceux qui l’occupaient dans l’eau, d’autres se rendirent