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Page:Cortés - Lettres à Charles Quint, trad. Charnay, 1896.djvu/354

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m’était resté quelques porcs, que je distribuai par rations infimes et que nous mangions sans pain ni sel, nous étions perdus. Je fis demander par mon interprète, aux Indiens que mes gens avaient ramenés, s’ils ne connaissaient pas quelque part un village où nous aurions chance de trouver quelques vivres, leur promettant que s’ils voulaient m’y conduire, je leur donnerais non seulement la liberté, mais que je les comblerais de présents. L’un d’eux me dit qu’il était marchand, que les autres étaient ses esclaves, qu’il avait souvent parcouru la côte avec ses pirogues et qu’il connaissait un estuaire, qui d’ici près allait jusqu’à une grande rivière et où par gros temps, lorsque les barques ne pouvaient tenir la mer, tous les marchands allaient jeter l’ancre ; et que, sur les bords de cette rivière, il y avait de grands villages habités par des Indiens riches et largement approvisionnés. Ceux-ci nous conduiraient à d’autres villages où nous ferions ample moisson de tout ce qui nous était nécessaire. Il ajoutait que, pour me prouver qu’il ne me trompait pas, je n’avais qu’à l’emmener avec moi, enchaîné, pour le punir comme il me plairait, si tout n’était point ainsi qu’il me l’avait dit.

Je fis aussitôt préparer les barques et les canoas ; j’y embarquai tout ce que j’avais d’hommes valides et les envoyai sous la conduite de cet homme. Au bout de dix jours, mes gens revinrent comme ils étaient partis, disant que leur guide les avait menés dans des marais, où ni les barques, ni les canoas ne pouvaient naviguer ; qu’ils avaient fait ce qu’ils avaient pu pour passer et que cela leur avait été impossible. Je demandai à l’Indien comment il avait osé se moquer de moi ? il me répondit que non, mais que les gens avec lesquels je l’avais envoyé s’étaient refusés à pousser en avant ; qu’ils étaient déjà tout prêts d’atteindre le point de la côte où se jette le fleuve, puisque les Espagnols pourraient me dire avoir entendu le bruit des vagues : la mer se trouvait donc à proximité.

Je ne saurais dire ce que j’éprouvai en me voyant en si fâcheuse extrémité ; je faillis perdre tout espoir en songeant que tous, peut-être, nous étions condamnés à mourir de faim. Ce fut au milieu de ces affreuses circonstances, que Dieu Notre