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Page:Coubertin - Histoire universelle, Tome II, 1926.djvu/183

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histoire universelle

existé là une principauté qui avait subsisté trois siècles. Le comté qu’y formèrent les croisés ne dura pas cinquante ans (1097-1144). Née presqu’en même temps, la principauté d’Antioche, toute voisine, eut la vie plus longue (1098-1268). Le célèbre Bohémond de Hauteville fils de Robert Guiscard l’avait fondée. Il n’est point de physionomie plus séduisante que la sienne par le mélange si humain de ses qualités et de ses défauts, sa hardiesse, sa beauté, son charme, ses élans, ses défaillances morales et ses capitulations de conscience. Anne Commène fille de l’empereur grec Alexis a, dans ses curieux mémoires, fixé la silhouette de Bohémond d’une façon qui ne laisse guère de doute sur le sentiment qu’elle éprouvait pour lui. Il eut pu prétendre à cette alliance (il épousa par la suite la fille du roi de France Philippe Ier) mais il en sacrifia les avantages moins à un calcul ambitieux qu’à sa passion d’aventures. Cette passion devait l’égarer. Il conduisit en somme mal sa barque ; il eut pu dominer son époque et ne fit que la traverser comme un brillant météore.

Au-dessous de la principauté d’Antioche fut érigé pour Raymond de Toulouse le comté de Tripoli ; il correspondait à la région du Liban. Enfin venait le royaume de Jérusalem c’est-à-dire la Judée et la Galilée avec Tyr, Jaffa et Saint-Jean d’Acre. Le premier de ces États se maintint jusqu’en 1285 ; le second disparut par la prise de Jérusalem dès 1189 ; l’initiative de Frédéric II le ressuscita en 1229 mais pour dix ans seulement. Il n’est point d’histoire moins édifiante que celle des chevaliers promus au gouvernement de ces fondations hybrides qu’une honnête et pure vaillance eût seule pu consolider. La vaillance ne manqua guère mais il n’y eût ni honnêteté ni pureté. Pour un Godefroi de Bouillon à l’âme droite et noble, on compte vingt Renaud de Chatillon : brigands courageux certes mais déshonorés par leurs crimes et leurs fourberies continuelles. On a pu dire, non sans vérité, que dans la passion de revanche qui s’alluma au cœur des musulmans entrait une large part de mépris pour les conquérants. Leur faiblesse de caractère se traduisit en effet par un abandon rapide et à peu près complet de tous les principes évangéliques. L’adaptation levantine ne les conduisit pas seulement au cérémonial et au costume arabes mais à la polygamie et à l’esclavage, institutions que la politique à défaut de la religion leur eût commandé de proscrire. Leur incapacité intellectuelle par ailleurs neutralisa jusqu’aux occasions favorables que leur ménageait le hasard des circonstances. L’islam autour d’eux avait perdu son unité et l’instinct le plus élémentaire de conservation