Page:Coubertin - Histoire universelle, Tome IV, 1926.djvu/123

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
119
la résurrection de la grèce

équipés. La concurrence vénitienne avait cessé et les guerres européennes allaient laisser pratiquement le champ libre en méditerranée orientale. En 1813 les Hellènes se trouvèrent posséder six cent quinze vaisseaux armés de cinq mille huit cents canons car, à cause des corsaires, tout navire de commerce en ce temps là était exposé à devoir livrer bataille. Cette flotte servait à transporter des idées et des mots d’ordre autant que des marchandises. À la société des « Philomuses » de façade littéraire s’ajouta bientôt l’« Hétairie », vaste organisation secrète qui tissa à travers le monde grec si divers une immense toile d’araignée aux fils invisibles. Déjà en 1797 un thessalien, Rhigas, avait entrepris quelque chose d’analogue. Mais les temps n’étaient point révolus et Rhigas avait payé de sa vie un effort prématuré. Cette fois-ci, des couvents retranchés dans la montagne aux pauvres sanctuaires où d’humbles popes entretenaient le feu sacré, des riches colonies grecques d’Odessa, d’Ancône, de Livourne, de Marseille, de Paris, de Petersbourg aux cavernes où les klephtes cachaient leurs trésors, les dons affluèrent et la même ambition s’exprima. À ce peuple auréolé par les reflets d’un si grand passé la liberté de vivre ne suffisait pas. Il fallait un avenir digne de ce passé.

Le 24 mai 1821 la Grèce nouvelle cueillait à Valtetzi ses premiers lauriers et peu après, Colocotronis s’emparait de Tripolitza. Le 1er janvier 1822 une assemblée nationale réunie à Épidaure adopta une constitution et fit appel à l’Europe. Les Turcs affolés répondirent par d’odieux massacres. Ils mirent à mort le patriarche[1], un grand nombre d’évêques et des milliers de chrétiens. Dans les îles, à Patras, en maints endroits le sang coula à flots. L’Europe officielle ne s’émut point. Les Autrichiens ravitaillaient les Turcs ; le « lord commissaire des Sept îles »[2] persécuta les Ioniens qui se déclaraient pour leurs frères

  1. Le patriarche grec de Constantinople, sans que sa situation soit clairement définie par rapport aux églises nationales, est le chef de la foi orthodoxe et son représentant suprême.
  2. Les sept îles Ioniennes avaient été en 1797 occupées par Bonaparte qui les considérait comme « plus intéressantes que toute l’Italie ensemble ». Par la suite ces îles furent constituées en une république dont la Turquie n’exerçait que le protectorat nominal. Au congrès de Vienne l’Angleterre malgré la Russie se fit transférer le protectorat qu’elle détint jusqu’en 1863 à l’avènement du roi Georges de Grèce.