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Page:Coubertin - Pages d’histoire contemporaine.djvu/102

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l’ère des vice-rois

Tel est bien le Grand-Russien, prêt à se dévouer à sa patrie et à travailler pour elle sous la direction du Tsar auquel il s’en remet du soin de veiller à sa sécurité et de défendre ses intérêts. Mais le Grand-Russien n’est pas seul ; il représente l’État central, le vieux noyau de l’empire. L’empire pourtant s’est accru de toute une série d’autres États qui n’ont ni la même origine ni les mêmes instincts. La platitude géographique semblait devoir promptement en effacer les frontières, tandis qu’une pesante unité administrative se flattait d’en détruire le particularisme. À quoi bon le nier ? l’œuvre a échoué. En vain s’efforce-t-on, par un déplorable anachronisme, de la répéter. Elle échouera en Finlande comme elle a échoué en Pologne.

Et la Russie bénira, un jour, cet échec providentiel d’où sortira pour elle un surcroît de richesse et de puissance. Alors le tsar ne sera plus seulement l’empereur des Grands-Russiens mais aussi le souverain de la Petite-Russie, des provinces baltiques et de la Lithuanie, le roi de Pologne et le grand-duc de Finlande ; alors siégeront non plus seulement à Irkoutsk, à Astrakhan ou à Moukden, mais à Helsingfors, à Riga, à Varsovie, des vice-rois qui seront les délégués directs du tsarisme et le fortifieront en le soulageant d’un fardeau surhumain.

Du même coup les vœux de ces peuples annexés seront comblés. C’est un fait digne de remarque qu’ils n’aspirent point à l’indépendance mais qu’ils attendent avec une patience obstinée qu’on leur rende l’autonomie. Le respect et l’amour du souverain s’étendent à presque tout l’empire ; nulle part on n’est insensible au prestige et aux avantages du tsarisme. Aucun péril externe ne le menace donc ; bien des circonstances le favorisent ; sa figure majestueuse répond aux ambitions de l’heure présente ; il incarne la force et facilite le progrès matériel… le péril est interne. Dans l’empire où tout est organisé pour aboutir au chef suprême, il