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Page:Courouble - L'étoile de Prosper Claes, 1930.djvu/239

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toir. Et c’était un bataillon de reîtres sordidement dépenaillés qui, oublieux du pas de l’oie, gravissaient maintenant pêle-mêle, à la débandade, la rampe du boulevard derrière une file de chariots hétéroclites traînant des bœufs et des vaches à la remorque tandis que là-haut, en tête de la horde, une formidable musique tonitruait une marche triomphale ainsi qu’aux premiers jours de l’invasion…

Dans la nuit maintenant venue, à la lumière des torches de résine, dans le lamentable beuglement des bestiaux qui brochait sur le vacarme des grosses caisses, le tableau de cette bande en retraite empoignait d’une incoercible émotion. Et la foule, si heureuse pourtant, oubliait de sourire, prête à s’apitoyer peut-être sur ces pauvres Huns déchus, qui lui avaient causé de si cruels, de si longs maux, encore que ceux-ci eussent rencontré chez elle des courages plus forts que leurs tourments… Après tout, est-ce que ces hommes-là avaient voulu la guerre ?

Ils étaient passés…

— Dire, fit le contremaître en sortant de sa torpeur rêveuse et quasi hébétée, dire que je les ai vus ici même, en août 1914, descendre ce boulevard, commandés au sifflet comme des forçats et marchant d’un seul bloc qu’on aurait dit que c’était une immense mécanique ! Ah ! est-ce qu’il y aurait tout de même un bon Dieu ? Alors, j’y crois et je le remercie, car il a accompli ce que je lui ai demandé ce jour-là, et tant d’autres depuis, c’est-à-dire mon vœu de les voir remonter ce boulevard en vaincus, sales et dégoûtants,