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Page:Courteault - Mme Desbordes-Valmore à Bordeaux, 1923.pdf/30

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MADAME DESBORDES-VALMORE À BORDEAUX

Marceline avait trouvé chez lui un accueil très affectueux. Elle mit à contribution l’influence que lui donnaient ses fonctions de substitut du procureur du roi. Elle avait confiance dans sa nature « bienveillante et bienfaisante ». En novembre 1824, elle lui recommandait une « bonne demoiselle », « très pieuse, excellente fille, mais fille et alors bavarde dans sa dévotion. Elle a vécu soixante-quatorze ans. C’est dire qu’elle a beaucoup souffert. Si je vais à cet âge, il me semble que j’aurai moins peur de l’enfer et que mes péchés seront tout noyés dans mes pleurs[1]. » Le 7 avril suivant, c’est en faveur de son mari qu’elle le sollicite. Prat, le directeur du Grand-Théâtre, faisait des difficultés pour garder Valmore, dont il n’était pas sans doute très satisfait. Marceline tremblait que son mari ne perdît sa situation. Elle savait qu’Emérigon, le président du tribunal civil, connu comme un dilettante distingué, l’illustre avocat Louis-Marie-Joseph de Saget et son frère le médecin pouvaient tout sur le préfet de la Gironde, le baron d’Haussez, et elle ne doutait pas que celui-ci imposât sa volonté à Prat. L’intervention de Gergerès fut-elle décisive ?

Du reste, cher Gergerès, sans me mêler dans ce dédale, essayons le dernier moyen d’être utile à un homme que quelque talent (assez pour jouer des tyrans), un caractère honnête et une position affreuse rendent intéressant pour ceux qui pensent to their fellow sufferers[2].


En tout cas, Valmore resta à Bordeaux. La situation du ménage n’en était pas moins misérable. Le 12 mai, il était menacé de voir ses meubles saisis pour une note de dix francs impayée. Marceline s’adressa de nouveau à Gergerès. La demande était délicate ; elle s’en tira de la plus aimable façon :

On tient à me faire laisser mon humble hommage à votre bonne ville de Bordeaux, cher Gergerès, et c’est de bien bon cœur, attendu que j’y suis forcée. On vient me saisir, et je paye. Je souhaite que cet argent passe par vos mains, afin que vous ayez l’extrême bonté de m’éviter de courir à un bureau que je ne sais où prendre. On m’a dit, en me remettant ce madrigal, ce matin, qu’il fallait payer dans le jour, ou être saisie dans mes meubles, qui ne sont pas à moi. Faites donc, je vous en supplie, porter bien vite cette petite somme de 10 francs, car je ne sais où les adresser. Je vous aime, je vous embrasse et je vous espère quand vous passerez, pour que je vous demande pardon de me croire tant votre amie[3].

  1. Boyer d’Agen, Lettres inédites, p. 18.
  2. Ibid., p. 19.
  3. Ibid., p. 19-20.