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Page:Cousturier - La Forêt du Haut-Niger, 1923.pdf/12

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4 mars.

Même paysage que la veille, mais sali par les récents feux de brousse. Je m’ennuie à le regarder : je dormirais bien. Mêmes hamacaires, malheureusement : je ne dormirai pas. Peu de Malinkés comprennent que le hamac doit se porter souplement comme une cuvette pleine d’eau. Au troisième de leurs pas balancés, mes hommes, s’ils en portaient une, en recevraient tout le contenu sur leurs flancs. Je crains que mes reins eux-mêmes ne s’en aillent et je me bande fortement le ventre pour les en empêcher.

Je remarque parmi les passantes quelques belles filles ou femmes de cultivateurs ou de dioulas[1]. Au passage de l’une d’elles qui possède des traits longs et fins, je m’exclame à demi-voix :

— Quelle jolie fille !

— Jolie oui ! approuve, malgré lui, un de mes hamacaires, trahissant ainsi, la crapule, une connaissance du français qu’il m’avait cachée et une sensibilité à la beauté qu’ils cachent tous.

Toutes les femmes de la campagne sont demi-nues. Je note des seins ronds dressés, des seins vides, plats et triangulaires, la pointe à la taille. Quant aux seins des mères, en forme de gourde, on ne les voit pas, leur relief servant de porte-manteau pour suspendre l’écharpe qui contient d’autre part, sur leurs reins, l’enfant. Une jeune fille qui nous croise, tête chargée de manioc, projette devant elle des seins si puissants et raidis qu’on dirait de deux bouteilles fixées là par ventouse. Cela n’est pas naturel, à force de l’être ; on pense à une figuration, à un fétiche femelle. Tous les hommes de mon escorte ont senti cette absurdité, tous ont ri, comme j’ai ri. La pauvre fille sait très bien qu’elle est ridicule ; elle se hâte pour échapper plus vite aux regards et ses gros seins bougent, comme des bêtes.

À Bissandougou, gros village, des dioulas, vêtus de toutes les nuances de bleu, assis sur la poussière rouge du sol ferrugineux, étalent des kolas blanches et roses sur des feuilles émeraude. Des chasseurs demi-nus, violets, proposent les morceaux uniformément carmins, de la viande d’un buffle tué la nuit. Pour 10 francs, j’ai un

  1. Marchands soudanais.
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