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Page:Cousturier - La Forêt du Haut-Niger, 1923.pdf/36

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des hanches aux genoux. Je remarque celles qui reviennent du marigot : leur tête est chargée d’une grande jarre noire très pansue, ceinturée d’un dessin de damier aux compartiments larges. Une argile blanche coulée dans les sillons de cette gravure en fait jouer le dessin. C’est d’un art grave et luxueux et les femmes elles-mêmes sont graves et luxueuses quand elles les portent. Auprès de leurs maris vêtus d’étoffes rayées et drapées, elles étonnent. Elles ne semblent pas être des animaux de la même espèce ou des bibelots de la même époque. La femme est restée égyptienne, l’homme est médiéval. Ici, comme ailleurs, ils n’ont pas marché la main dans la main.


18, 19 mars.

Dans tous les nouveaux villages guerzés on me fête depuis que l’administration a retrouvé ma trace. La plupart des chefs de province et de village sont absents, cependant, ainsi que leur suite, car ils ont dû emmener la jeunesse virile au conseil de révision qui siège au chef-lieu de cercle, celui, militaire encore, de N’Zérécoré. Mais ils ont chargé de m’accueillir et de les excuser, des personnes de leur famille, fils ou frères. Ceux-ci viennent au-devant de moi à plusieurs kilomètres de leur village avec les musiciens et les vieilles danseuses, pour me souhaiter la bienvenue.

Les musiciens jouent du tam-tam, de la guitare, de la corne de koba, instrument à vent, et les vieilles femmes se servent de petits instruments en fer et de sonnailles, comme ici de triangles et de castagnettes et elles dansent en chantant.

On se fait à tout. Je me fais à l’étrange privilège de voir s’évertuer aux côtés de mon hamac des danseuses sexagénaires dont aucun détail de déchéance physique ne peut m’échapper, car elles ne portent qu’un minimum de pagne, enroulé autour du bassin. Je peux contempler à loisir sur leur face, leur thorax, leur ventre, la peau, maintenant ballante, qui contint des joues, des muscles, des seins, qui dissimula des bébés.

C’est une des inventions des sociétés nègres qui surprennent le plus, cette utilisation des vieilles femmes, c’est-à-dire de la laideur,

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