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Page:Cousturier - La Forêt du Haut-Niger, 1923.pdf/52

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d’enfant, en bois blanc, perdu dans l’herbe haute d’une prairie en fleurs.

Sauf les vieillards, je ne vois pas les habitants dans l’après-midi. Le chef m’explique qu’ils sont aux champs de culture et, pour me distraire, je fais une aquarelle d’après mes porteurs et la haute muraille d’arbres.

Ce n’est qu’après la tornade, à la fuite du jour, qu’en me promenant entre les cases, je vois, rentrer les indigènes un à un, hommes et femmes. Ils sont nus, ou presque ; certains rapportent sur leur épaule l’unique outil de culture nègre, le daba, sorte de houe ; d’autres tiennent de grands arcs de bois sombre et des flèches. Les femmes portent des filets. C’est la première fois que je vois cela. C’est la première fois que je trouve intacte cette société qu’évoquent les vieux contes nègres, avec son parcage naïf des sexes : aux hommes appartient le domaine de la chasse ; aux femmes celui de la pêche. Je ne me lasse pas de guetter dans l’ombre du sentier étroit de la forêt ces individus qu’on distingue si difficilement des verdures maintenant assombries. On dirait des trous qui prendraient soudain forme humaine ; mais forme muette. Ces chasseurs, ces pêcheurs sont-ils vraiment si fatigués qu’ils ne puissent échanger deux mots ? Je crois plutôt qu’effrayés de ma présence, qu’ils ont apprise, ils s’efforcent de passer inaperçus ; ce qui me le fait croire, c’est qu’ils ont bien dissimulé leurs prises : je ne distingue ni gibier ni poisson ; ils craignent sans doute que je ne les pille. Quand je les fais interroger par mon interprète, le tirailleur qui m’accompagne, ils me répondent qu’ils rentrent du lougan. Sauraient-ils déjà tous, hommes et femmes, que l’administration française préfère aux chasseurs, les cultivateurs ?

Je me couche de bonne heure et m’endors dans le calme. Mais je suis réveillée fort avant dans la nuit, par des éclats de rire. Je me lève, je sors, pour mieux écouter. Dans le caravansérail, mes compagnons de route dorment. J’en franchis l’enceinte. Le phénomène se répète ; tantôt dans une direction, tantôt dans une autre, fusent des rires stridents, énervés. Au milieu de la nuit et du décor que je sais, ils sont d’une étrangeté un peu fantastique. Ils me font songer vague-