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Page:Cousturier - La Forêt du Haut-Niger, 1923.pdf/64

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vainqueurs poussent des cris de triomphe et de temps en temps ils donnent de violents coups-de-tête dans le cadre d’où pend mon hamac. Sans doute ils se prouvent ainsi, ou ils me prouvent, leur aisance de cariatides, avant de se lancer dans la course, leurs bras libres mais plus ou moins écartés du corps, servant de gouvernails. Lorsque le sentier est plan ils chantent tout en courant ; s’il se dresse en côte escarpée ils grognent, rageurs comme des bêtes. S’il dévale, ils crient tous en se poursuivant, s’invectivant, réveillant tous les échos des gorges qui abondent en cet endroit. C’est la région la plus accidentée que j’aie encore vue en Haute Guinée. Là où l’on croit, entre les branches des hauts arbres, découvrir le ciel bleu, c’est une montagne et c’est l’eau des torrents qui brille et mousse au fond d’un trou entre leurs pieds.

J’ai visité le village en compagnie du chef. Presque tous les palmiers à huile qui avoisinaient les cases sont morts, saignés avec excès sans doute par les buveurs de vin de palme. Je demande où sont les jeunes plants qui remplaceront les arbres disparus. Le chef est trop diplomate pour me décevoir en me disant qu’il n’y aura plus de palmiers à huile dans son village et, d’autre part, il ne peut me montrer de pépinières, car les noirs, ici, ne replantent pas.

— Quand un vieux palmier meurt, me fait-il répondre, il en repousse un autre juste à la même place, plus tôt ou plus tard, mais il en revient toujours un.

Quant à la multiplication des arbres, il l’attend du soin des buffles sauvages. Ces buffles d’un troupeau mangent toutes les noix de palme en même temps que l’herbe, et ce sont leurs bouses qui sèment les noyaux partout dans la forêt.

Cette fable du palmier qui renaît de ses cendres fait-elle partie des classiques nègres ? Est-elle une improvisation du vieux chef ?


8 avril.

Dans une forêt où les panthères abondent, la nuit, ma case ouverte est envahie par de vulgaires rats qui dévorent les restes de mon poulet et ma robe blanche qui sent l’amidon.

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