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Page:Créquy - Souvenirs, tome 5.djvu/178

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SOUVENIRS

s’en effrayer et s’en occuper sans relâche, on se moquait de nous.

Le désordre moral et politique était fomenté, non-seulement par les gros livres encyclopédiques et les romans orduriers, par les brochures impies et les tragédies en cinq actes, mais jusque par les almanachs des muses et les petits opéras-comiques. Marmontel avait fait une comédie mêlée d’ariettes à l’italienne, dont le but et la moralité consistaient à prouver qu’il était bon d’épouser sa servante et qu’il fallait laisser braconner ses paysans. Cet opéra, nommé le Sylvain, contenait mille déclamations folles contre l’inégalité parmi les humains et les préjugés de la naissance. C’était une œuvre de parti, et toute la corporation des encyclopédistes avait voulu contribuer à la confection de ce beau drame, où le manque de naturel et les entorses à la vérité se trouvaient à profusion.

Pour nous donner l’idée d’un brave et bon seigneur, on lui fait permettre la chasse à tous les paysans de ses terres ; mais c’est un moyen qui n’est pas bien imaginé, Messieurs les philosophes ! Un bon seigneur qui a du bon sens et qui veut faire le bien de ses vassaux, craindrait en leur accordant pleine liberté pour la chasse, de les détourner des soins qu’exige l’agriculture, et de leur faire perdre l’estime et le goût de leur métier. Il ne voudrait pas les exposer à laisser leurs femmes et leurs enfans dans un dénuement continuel, et par-dessus toute autre chose, il aurait la crainte de les faire devenir des vagabonds et de mauvais sujets.

Un bon seigneur se contente de faire tuer par