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Page:Créquy - Souvenirs, tome 5.djvu/24

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SOUVENIRS

voir un chapeau, rond… En outre, est-ce que les veuves ne portent pas des cordelières autour de leurs armes ?

Voilà des raisonnemens comme il en savait faire ; et, fût-il appuyé sur la vérité des choses et la réalité des faits, on pouvait toujours compter sur une conclusion déraisonnable. Les fleuves ne vont pas plus naturellement et plus invinciblement à la mer que le Chevalier de Créquy n’aboutissait à l’absurde.

Après avoir reçu de la dame en question des visites sans nombre et des invitations sans fin, je prends mon parti résolument, je monte en carrosse avec votre père, et nous voilà sur le chemin de Fontenay, qui n’était praticable que pour les bœufs, ce dont M. le Chevalier et sa bonne amie n’avaient pas eu l’attention de nous avertir. Ce n’était pas qu’on fût en danger de verser : la profondeur des ornières y mettait bon ordre ; mais on risquait de n’arriver jamais. Mes pauvres chevaux s’abattaient en soufflant d’ahan pulmonique, et puis s’empêtraient dans leurs harnais en se relevant sous les coups des postillons ; c’étaient des traits rompus, des ruades, et surtout des jurons d’écurie à me faire étouffer de colère. Je voulus absolument descendre : nous mettons pied à terre au bord d’une fondrière, et nous voilà partis à travers champs, mon fils et moi, l’un portant l’autre et bras-dessus, bras-dessous. Nous n’étions qu’à trois quarts de lieue de Fontenay, disait-on ; mais nous fîmes apparemment fausse route, et je ne sais comment il se fit que nous n’y pûmes arriver qu’à la fin du jour, après trois heures de marche et de fatigue inouïe. Nous trouvâmes la