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Page:Créquy - Souvenirs, tome 5.djvu/26

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SOUVENIRS

sait par sécher aux rayons du soleil, tandis que la pluie faisait dans les chambres du château des mares qui ne séchaient jamais. Le premier étage était devenu tout-à-fait inhabitable, et l’on nous fit entrer dans une salle basse toute décarrelée, entre quatre murailles lézardées, couleuvrées, crevassées, et parsemées de gros clous et de crampons rouillés qui retenaient, par-ci par-là, quelques vieux morceaux de tapisserie. On nous présenta de grandes chaises de bois qui n’étaient pas garnies. La pluie tombait à torrens, et je finis par être saisie d’un froid mortel. Voilà mon fils qui s’alarme et qui demande qu’on me fasse allumer du feu ; mais il fut impossible de trouver une seule personne qui voulût sortir du logis et traverser la cour pour aller chercher du bois : ce n’était pas seulement à cause des loups, mais parce qu’il faisait du tonnerre, et cette châtelaine mal servie ne trouva pas d’autre excuse à m’en donner sinon que ses domestiques étaient d’un entêtement insupportable. C’était précisément comme ces père et mère qui disent à leurs enfans : — Mon Dieu ! que vous êtes mal élevés ! On avait dit de la salle à manger qu’elle se trouvait dans un autre corps de logis, de sorte que lorsqu’on vint annoncer le souper, je ne voulus pas quitter ce lieu de plaisance, où je restai deux heures d’horloge à trembler la fièvre. On m’apporta, dans une tasse à café, du potage à l’eau de rivière ; et, si je n’avais pris garde à la cuillère d’argent qu’on m’envoyait, je m’en serais fendu la bouche et tranché les joues, tant les bords en étaient amincis. Votre père et ses bons amis ont babillé pendant vingt ans sur le prodi-