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Page:Créquy - Souvenirs, tome 5.djvu/69

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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

de leur demander assistance ; mais je fus retenue par une sorte de sentiment que je ne soupçonnais pas en moi. La vieillesse est quelquefois embarrassée, sans être timide, et surtout lorsqu’elle est aux prises avec un sentiment féminin, c’est-à-dire avec une sorte de délicatesse, ou, si l’on veut, de coquetterie naturelle. Il me sembla qu’avec des soldats, et de jeunes soldats peut-être, mon apparition pourrait leur donner des idées impertinentes pour moi, et par exemple, celle d’une vieille sorcière qui serait sortie de sous terre afin de leur sauter aux yeux. Je craignis qu’ils ne se moquassent de moi quand ils verraient mon visage ; il me parut au-dessous de moi de solliciter du secours à prix d’argent ; car enfin, pensais-je en marmottant mon chapelet, ôtez-moi le nom, les titres et la fortune, et vous verrez chacun de ces garçons-là sauver, de préférence à moi, une grosse servante, au lieu de songer à me tirer d’embarras. Les vieilles gens ont si mauvaise grâce à redouter l’abandon, la souffrance et la mort ! C’est la raison qui me fit patienter sans rien dire ; et je crois bien que, si j’avais eu quarante ans de moins, j’aurais agi tout autrement. Il paraît que, pour dissiper les idées prestigieuses et pour faire des réflexions philosophiques, il n’est rien de tel que de passer la nuit dans un fossé. Aussitôt que le jour parut, c’est-à-dire à trois heures et demie du matin, j’escaladai mon degré de planches, et, quoique je ne fusse chaussée qu’en mules, j’arrivai sans malencontre à l’hôlel de Créquy, où tout le monde était dans la désolation. (Votre bonne Dupont en prit une jaunisse qui lui dura deux ou trois mois.) C’é-