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Page:Créquy - Souvenirs, tome 5.djvu/74

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SOUVENIRS

courte, brune et point frisée, et que celui qui parlait de la perruque apprit qu’elle devait être âgée de quarante ans pour le moins.

Il paraît que son expérience des cas réservés l’avait rendu prodigieusement, scrupuleux. Il avait pour héritier présomptif un jeune Bignon qui servait dans la marine, et qui tomba chez lui comme une bombe en lui disant : — Bon jour, mon oncle. J’arrive d’Amérique, où j’ai pensé faire naufrage au milieu d’une tempête infernale. Je ne savais plus à quel saint me vouer, et j’ai promis que vous vous feriez Minime ou Lazariste, à votre choix. C’est un vœu que j’ai fait à votre patron saint Jérôme : ainsi voyez ce que vous aimerez le mieux. — Qu’est-ce que vous avez fait là, monsieur ! Vous êtes un garçon joliment téméraire !… Et le voilà qui s’en va bien, vite à l’Archevêché pour y consulter les promoteurs et les officiaux, qui lui dirent : — Tenez-vous tranquille et laissez-nous tranquilles.

On fut obligé de lui faire quitter sa charge de l’Hôtel-de-Ville avant l’expiration de ses trois années prévôtales ; et c’est pour l’en dédommager que les Maurepas l’ont fait nommer grand-maître de la librairie du Roi, autrement dit premier gardien de la Bibliothèque Royale à Paris. M. de Maurepas, qui ne pouvait s’empêcher de goguenarder, lui dit une fois : — Bignon, mon ami, vous voilà placé commodément : c’est une belle occasion pour apprendre à lire.

On nous disait, le printemps dernier, qu’ayant eu les jambes enflées et croyant mourir, quoiqu’il eût conservé le meilleur appétit possible, il avait fait