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Page:Créquy - Souvenirs, tome 5.djvu/86

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SOUVENIRS

air indifférent ou préoccupé qui ne lui messieyait pas du tout, bien loin de là. Il avait servi sous les ordres de votre grand-père en Italie, et c’était nous qui l’avions fait nommer Secrétaire-général des Dragons, ce qui lui valait 12 mille livres de rente, avec un logement sous la galerie du Louvre et l’habit d’Officier. Il avait pris toutes les apparences et les habitudes de la meilleure compagnie, ce qui ne l’empêchait pas d’aller souvent dans la plus mauvaise… Il avait eu des succès inconcevables, autant pour la qualité que pour la quantité ; mais la vanité ne pouvait rien du tout sur sa discrétion, et quand ses amis les dragons l’entreprenaient sur ses bonnes fortunes, il s’en impatientait et se débattait comme un diable. Il avait du caractère de M. de Létorières et de la tournure de M. de Lauzun, mais en plus naïf et plus solide. Je n’ai jamais vu que lui qui fût parfaitement heureux de sa position sociale et pleinement satisfait de sa fortune. Il n’était pas, disait-il, assez pauvrement petit pour ne pouvoir approcher des grands, ni assez grand pour ne pouvoir s’associer avec les plus petits. — Je suis deux fois plus heureux qu’un grand Seigneur ou qu’un petit bourgeois, par la raison que j’ai deux facultés, deux cordes à mon arc, et parce que je vis double, me disait-il un jour ; il y a du plaisir et de l’intérêt pour moi dans la confiance et la familiarité des petites gens : c’est, pour les émotions du cœur et le repos de l’esprit comme une excursion champêtre ; et si la fatigue me prend, je monte en voiture : j’ai l’honneur de venir vous faire ma cour, Madame, et j’ai celui de me trouver chez