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Page:Créquy - Souvenirs, tome 7.djvu/109

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SOUVENIRS

n’avaient cependant pénétré dans cette forteresse qu’en vertu d’une capitulation à la suite de laquelle le Marquis de Launay leur en avait fait ouvrir les portes. Ce gouverneur du même château n’avait malheureusement aucun moyen de résistance, attendu que malgré tout ce qu’il avait pu dire et faire auprès du maréchal de Broglie, celui-ci n’avait eu la précaution d’envoyer à la Bastille ni munitions, ni canons, ni vivres, ni soldats. Le prévôt des Marchands, qui n’était plus M. Bignon, mais l’honnête et généreux M. de Flexelles, avait écrit à M. de Launay pour l’exhorter à capituler avec les assaillans, afin d’éviter de plus grands malheurs. — Nous acceptons votre capitulation, foi d’officiers ! fut dire entre les deux guichets un commandant de la garde nationale appelé Joseph Elie. — Faites baisser vos ponts, ajouta ce parlementaire, laissez-nous entrer, et faites sortir la garnison de votre château, vous allez voir qu’il ne vous arrivera aucun mal

    Vous voyez quelle était l’affreuse tyrannie de ce gouvernement persécuteur. Il a été constaté par le registre d’écrou qu’on a trouvé dans les archives de la Bastille, que cette forteresse n’avait reçu que dix-sept cent quarante-trois prisonniers dans un espace de trente-neuf ans et sept mois. Il me semble que ce serait par ans, sur le pied d’une quarantaine, ce qui ne me paraîtrait guère exorbitant. On a vu que c’était presque toujours à titre correctionnel, afin d’éviter une procédure infamante, et l’Abbé Morellet avait calculé que la durée moyenne de chacun de ces emprisonnemens n’avait été que de trois mois et six jours. J’aurais bien voulu que sous notre régime de liberté constitutionnelle les incarcérations préventives du gouvernement n’eussent pas été plus alarmantes et plus prolongées que les détentions correctionnelles de la Bastille.

    (Note de l’Auteur.)