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Page:Créquy - Souvenirs, tome 8.djvu/23

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les hommes avec une vérité parfaite ; mais pourtant, comme elle se sentait capable d’une élévation, d’une force et d’une générosité sans égales, elle ne voulut pas s’apprécier d’après les données générales et vulgaires de l’écrivain. En lisant le récit des actions les plus vertueuses et les plus mâles, elle se disait continuellement : — C’est ainsi que j’aurais agi ! Enfin, elle se demandait en gémissant : Pourquoi ne suis-je pas née républicaine et comtemporaine de Léonidas, d’Épaminondas ou de Philopœmen ?

C’est dans la sagesse de ces dispositions qu’elle fit un voyage de Paris à Versaille, pour y voir la cour. C’était sous le patronage d’une fille de garde-robe de Madame la Dauphine ; et la mère et la fille logerent au château dans un détestable appartement ! Mme Roland ne saurait oublier qu’on lui parla plusieurs fois avec un air de protection ! La malheureuse demoiselle d’Hannaches avait encore affaire à Versailles, et comme elle pénétrait dans certains lieux, tels que l’orangerie, les bosquets et la chapelle, avec assez de facilité ; comme elle était saluée poliment par quelques vieux seigneurs et qu’elle avait un cousin garde-du-corps, il est résulté de ces privilèges-là beaucoup d’animosité contre elle.

Le seul aspect de nos princes était un sujet d’irritation cuisante pour Mlle Manon que je vais laisser parler. « Je n’étais point insensible à l’effet d’un grand appareil ; mais je m’indignais qu’il eût pour objet de relever certains individus déjà trop puissans !… J’étais profondément blessée !… J’étais révoltée par le spectacle de la Cour !… Et lorsque ma mère me demanda si j’étais con-