Page:Crevel - Détours, 1924.djvu/33

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voitures à décors. Sous prétexte de nourriture, c’était un puzzle pour géants. De chaque morceau, les tendons et les veines composaient un dessin, et l’odeur d’une graisse bien morte ne m’éloignait pas. Les jeunes hommes enfonçaient leurs bras dans les quartiers de bœuf ou de mouton avec la joie qu’ils auraient eue à les tremper en plein pot de minium pour certain carnaval de leur façon. Leurs muscles étaient plus beaux, sous les manches de sang.

J’allais reprendre mon chemin lorsque j’entendis un hurlement. Quelqu’un se précipitait de la boutique, dégoulinant de pourpre.

Parce que je n’avais jamais voulu embrasser la graisse verte des cadavres, ma famille m’avait auréolé d’une sensiblerie chapeau Jean-Bart. Pourtant, sur les quais, j’avais aimé la repêche des jolies noyées, leur chignon lourd, si lourd qu’il fait pencher en arrière la tête pour la coquetterie des épaules, de la nuque, des seins ; le corps en amande, les bas collés aux jambes à croire qu’elles sont pétries de soie blanche et d’ivoire noir. Je n’ai jamais tant ri que le jour où cette femme en deuil, son crêpe dans la portière du taxi qu’elle venait de quitter, s’arrondit, ne sut point utiliser les bras qu’elle avait en forme d’ailes atrophiées et finalement, pingouin précaire, roula sous des roues qui l’écrasèrent. Ce fut une pelote qui se dévidait avec des cocasseries rouges, alors qu’on la croyait de laine foncée.

Pourquoi donc, ce jour-là, ne me serais-je point approché du blessé ?

Avec un tranche-lard, entre le coude et le poignet, il