Page:Crevel - Détours, 1924.djvu/37

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copie, avait écrit l'histoire de trois neurasthéniques ; et puis en admettant que seule ma lecture eût décidé mon père à choisir son genre de mort, ne devais-je point me féliciter de lui avoir évité la souffrance et une dernière tache à sa mémoire ?

Mais aucun raisonnement ne put contre l'obstination d’une voix qui accusait.

Ce jour était le 8 août.

Dans la rue, une femme marchait et sans appel, ses talons affirmaient chacun sa petite sécurité.

J’enviais le mois d’août, la pendule, la femme, les talons. Sur mes persiennes le soleil battait plus douloureux que mon cœur contre mes côtes.

Alors pour me refuser aux tentations de la solitude, j’allai voir une fille de mes amies.

Nue dans l’atelier de ce peintre qui lui servait d’amant, elle s’attendrissait à jouer d’un doigt La Prière d’une vierge. « Déshabille-toi, Paul n’y est pas. »

Nous passâmes par tous les âges de l’humanité ; mais elle fut surtout mère et deux heures durant ne quitta mon corps à la façon d’un buveur son breuvage que pour me donner de bons conseils. Elle poussa la conscience jusqu’à me refuser certain sortilège grâce à quoi j’eusse, poussière dans un cube de cristal, accepté sans angoisse la compagnie de tous problèmes.

Je m’en allai triste ; la voix que je n’avais pu taire s’obstinait :


Tu as le remords d’avoir tué ton père sans avoir même acquis cent années de souvenirs.