Page:Crevel - Détours, 1924.djvu/60

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sabres trop lourds et ne comprit rien de la beauté des femmes aux fronts larges et aux voix brutales.

— L’exemple de Marie Leczinska suffit à la conclusion.

— À quelle conclusion ?

— Il est impossible d’espérer que tout aille logiquement, sainement, mais sous nos pieds sans cesse s’ouvrent des trous, et la surprise des muscles ne trouve point sa cause dans une ataxie individuelle ; en vérité nous marchons au milieu de chaos et celui qui a trop de conscience pour ignorer les obstacles ne parvient jamais à sauter d’un bord à l’autre par-dessus cette faille que nous appellerons pour vous plaire d’un nom romantique : « Vallée du Malheur. »

— Et après ?

— Mais il n’y a même plus un « après », lorsque nous avons perdu certaine foi silencieuse. Mes premières certitudes ressemblaient aux laveuses dont les mains sont toute paix et fraîcheur. Aujourd’hui le linge part à la dérive. S’il me faut aller au gré du premier courant venu, le mieux n’est-il pas encore de feindre l’indifférence. »

Je parvenais à toucher Cyrilla. Doucement elle s’inquiétait : « Vous devez être bien malheureux, et aussi vous ennuyer beaucoup.

— Mon Dieu, je me console en pensant qu’il est encore des jeux assez faciles. Le billard par exemple ; étant donné une boule, une autre boule et une autre, telle autre loi et telle autre... Vous comprenez c’est une petite revanche ; on croit à la justice du tapis vert bien tendu. Les individus, hélas ! ne ressemblent point à ce tapis vert, et il ne s’agit pas de frapper l’ivoire avec l’ivoire ; alors je tiens