Page:Crevel - Détours, 1924.djvu/72

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qu’elle eût jamais été vécue. J’approchais de la sainte table. Un décalage d’infiniment petits me valait une singulière extase. La mousseline de ma robe, mes voiles devenaient légers, légers. Sur un air épiphanique, la foule chantait :

Nous ne disons rien,
Mais n’en pensons pas moins.
Pain
Sans levain
Langue aux pépies d’amour
Divin beau jour.

« La voix de l’évêque couvrait toutes les autres ; et pour accompagner ces vers qui n’avaient même pas le mérite d’être réguliers, la musique avait plus d’ardeur. Je finis par comprendre la cause d’une si belle exaltation, lorsque je vis que sous une transparence pouvaient se deviner les secrets de mon corps. »

Sans doute Cyrilla ne se souvenait-elle plus sans quelque honte. Certes si elle n’avait pas lu ce que son père avait écrit sur la mémoire, elle aurait écarté l’imagination malfaisante. Mais après ce qu’elle savait, renoncer à un souvenir c’était s’obliger à douter de tous les autres, ne plus consentir par exemple à se croire Scolastique Dupont-Quentin.

Consciencieusement elle essaya de se rendre compte d’abord s’il était possible qu’elle pût être objet d’admiration et mériter, nue, les louanges d’une foule et d’un évêque.

Elle quitta sa robe, son linge et regarda son corps dans la glace. Un coup de vent ouvrit la fenêtre. Des ouvriers