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Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t4.djvu/130

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homme : c’est une personnification de la royauté grecque, respectueuse des lois et de la volonté populaire, opposée au despotisme des royautés barbares. Dans l’Œdipe à Colone de Sophocle, Thésée, si bienveillant aux malheureux, si généreux et si doux, est une image idéale de l’esprit athénien lui-même. Et dans Aristophane, qu’est-ce encore que le Démos des Chevaliers ou le Philocléon des Guêpes, sinon l’image, idéale aussi, quoique satirique et grotesque, de la démocratie athénienne ? Le drame donnait vraiment l’exemple à Thucydide. Son originalité fut d’ajouter à ce qui n'était que vue poétique et création de génie toute la solidité et toute la clarté de l’analyse scientifique la plus rigoureuse. Grâce à lui, la psychologie des cités grecques devint pour tous les esprits cultivés une science bien constituée et d’un usage facile. Athènes avait pris conscience de son génie propre. Les orateurs pouvaient étudier dans Thucydide le peuple auquel ils s’adressaient et chercher dans l’histoire ce surcroît d’expérience morale qui doit, suivant Aristote, s’ajouter, chez l’orateur, à la somme des expériences de chacun. Les discours de Démosthène surtout sont pleins de cette sorte de psychologie. L’image d’Athènes y apparaît à chaque page. La règle suprême de sa politique est l’esprit attique idéalisé. D’où lui vient cette conception, sinon de l’historien qu’il avait étudié avec passion, et qui le premier avait donné à cette idée un corps ?

Par cette étude profonde non seulement des faits particuliers, mais aussi des faits généraux et permanents, Thucydide rend l’histoire vraiment intelligible et instructive. Quant à l’appréciation des hommes et des choses, très rarement il la présente lui-même en son propre nom. Il raconte si bien que la conclusion sort toute seule du récit, mais lui-même ne blâme ni ne loue ;