Aller au contenu

Page:Cros - Le Coffret de santal, 1879.djvu/74

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
63
CHANSONS PERPÉTUELLES

La pluie et qu’au matin parfume le muguet.
Le soleil luit toujours ; mais l’homme fait le guet.
Voilà qu’il a bâti des quais et des écluses ;
Et les saules cendrés, méfiants de ces ruses,
Et les peupliers fiers ne vont pas jusque-là.
Ces coteaux profanés, d’où le loup s’en alla,
S’incrustent de maisons blanches et de fabriques
Qui dressent gravement leurs hauts tuyaux de briques.

Sur le Fleuve tranquille, égayant le tableau,
Les jeunes hommes, forts et beaux, qui domptent l’eau,
Oublieux, en ramant, de l’intrigue servile,
S’en vont, joyeux, avec des femmes.

                                                         C’est la ville,
La ville immense avec ses cris hospitaliers,
L’eau coule entre les quais corrects. Des escaliers
Mènent aux profondeurs glauques du suicide.
À la paroi moussue un gros anneau s’oxide,
Pour celui qui se noie inaccessible espoir.

Ligne capricieuse et noire sur le soir
Verdâtre, les maisons, les palais en étages
Se constellent. Au port, les ventes, les courtages
Sont finis. Le jour baisse, et les chauves-souris
Voltigent lourdement, poussant des petits cris.