Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 3, Amyot, 1846.djvu/133

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Ceci nous sert à comprendre comment l’homme social a pu s’arroger le droit de disposer légalement de la vie de son semblable ; œil pour œil, dent pour dent, vie pour vie : la loi du talion, en un mot, était politique ; une société qui veut subsister doit rejeter de son sein le criminel : quand Jésus-Christ est venu mettre sa charité à la place de la rigoureuse justice de Moïse, il savait bien qu’il abrégeait la durée des royaumes de la terre ; mais il ouvrait aux hommes le royaume du ciel… Sans l’éternité et l’immortalité, le christianisme coûterait à la terre plus qu’il ne lui rapporte. C’est à quoi je rêvais tout éveillé cette nuit.

Un cortége d’idées indécises, fantômes de l’intelligence, active à demi, à demi engourdie, défilait lentement dans ma tête ; le galop des chevaux qui m’emportaient me semblait plus rapide que le travail de mon esprit appesanti ; le corps avait des ailes ; la pensée était de plomb ; je la laissais, pour ainsi dire, derrière moi, en roulant dans la poussière plus vite que l’imagination ne traverse l’espace : les steppes, les marais avec leurs pins étiolés et leurs bouleaux difformes, les villages, les villes fuyaient devant mes yeux comme des figures fantastiques sans que je pusse me rendre compte de ce qui m’avait amené devant ce mouvant spectacle où l’âme ne parvenait pas à suivre le corps, tant la sensation était prompte !… Ce ren-