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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 3, Amyot, 1846.djvu/202

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empire d’esclaves. L’ignominie, poussée à ce degré, approche du sublime, c’est de la vertu romaine : elle perpétue l’État… mais quel État, bon Dieu !… Le moyen déshonore le but !

Cependant la bête féroce attendrie prend en pitié les animaux dont elle fit longtemps sa pâture, elle promet au troupeau de recommencer à le décimer, elle reprend le pouvoir sans concessions, au contraire, à des conditions absurdes, et toutes à l’avantage de son orgueil et de sa fureur ; encore les fait-elle accepter comme des faveurs à ce peuple exalté pour la soumission autant que d’autres sont fanatiques de liberté, à ce peuple altéré de son propre sang, et qui veut qu’on le tue pour amuser son maître ; car il s’inquiète, il tremble dès qu’il respire en paix.

À dater de ce moment s’organise une tyrannie méthodique, et pourtant si violente, que les annales du genre humain n’offrent rien de semblable, vu qu’il y a autant de démence à la subir qu’à l’exercer. Prince et nation, à cette époque, tout l’Empire devient frénétique : et les suites de l’accès durent encore.

Le redoutable Kremlin, avec tous ses prestiges, avec ses portes de fer, ses souterrains fabuleux, ses inaccessibles remparts élevés jusqu’au ciel, ses mâchicoulis, ses créneaux, ses donjons, paraît un asile trop faiblement défendu à l’insensé monarque qui veut exterminer la moitié de son peuple pour pouvoir gou-