Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 3, Amyot, 1846.djvu/293

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passer pour grand est bien ce qu’il prétend être. En ce genre, on doit croire les gens sur parole ; la fausse modestie elle-même est sincère malgré elle ; c’est un brevet de petitesse ; car les hommes vraiment supé rieurs n’affectent rien ; ils se rendent justice tout bas, et s’ils sont forcés de parler d’eux, ils le font sans orgueil, mais aussi sans trompeuse humilité. Il y a longtemps que j’ai lu cette singulière brochure ; jamais elle ne m’est sortie de la mémoire, parce qu’elle m’a révélé dès lors l’esprit du gouvernement et de la nation russes.

Au moment où j’ai quitté le Kremlin, il faisait presque nuit ; les teintes des édifices de Moscou, dont quelques-uns sont grands comme des villes, et celles des coteaux lointains s’étaient doucement rembrunies ; le silence et la nuit descendaient sur la ville ; les sinuosités de la Moskowa n’étaient plus dessinées en traits éclatants ; le soleil ne réfléchissait plus ses lueurs brillantes dans les flaques d’eau du fleuve à demi desséché ; la flamme de l’occident assoupie, éteinte, était devenue brune : ce site grandiose et tous les souvenirs que son aspect réveillait en moi me serraient le cœur ; je croyais voir l’ombre d’Ivan IV, d’Ivan le Terrible, se lever sur la plus haute des tours de son palais désert, et, à l’aide de sa sœur et amie, Élisabeth d’Angleterre, s’efforcer de noyer Napoléon dans une mare de sang !… Ces deux fantômes sem-