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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 3, Amyot, 1846.djvu/328

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Quant à moi, s’il fallait nécessairement recourir à de tels moyens ou à des moyens semblables pour conduire ces pauvres braves gens, je ne consentirais pas à rester huit jours leur officier : tromper les hommes, dût le mensonge créer des héros, me paraîtrait une tâche indigne d’eux et de moi ; je veux bien user du courage de ceux que je commande, mais je veux pouvoir l’admirer tout en en profitant ; les exciter par des moyens légitimes à braver le danger, c’est le devoir d’un chef ; les décider à mourir en leur cachant la mort, c’est ôter la vertu à leur courage, la dignité morale à leur dévouement ; c’est agir en escamoteur de corps : escobarderie militaire qui ne vaut pas mieux qu’une escobarderie religieuse. Si la guerre excusait tout comme certaines gens le prétendent, qui excuserait la guerre ?

Mais peut-on se figurer sans épouvante et sans dégoût l’état moral d’une nation dont les armées étaient dirigées de la sorte il n’y a pas vingt-cinq ans ? Ce qui se passe aujourd’hui, je l’ignore, et je crains de l’apprendre.

Ce trait est venu à ma connaissance, mais vous pouvez penser combien d’autres ruses pires que celle-ci peut-être ou semblables à celle-ci, me sont restées inconnues. Quand une fois on a recours à la puérilité pour gouverner les hommes, où peut-on s’arrêter ? Toutefois la supercherie n’a qu’un effet borné ;