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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 3, Amyot, 1846.djvu/343

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ces satrapes travestis, pour fixer leur imagination divagante, il leur faut des intérêts plus vifs. L’amour du jeu, l’intempérance, le libertinage et les jouissances de la vanité peuvent à peine combler le vide de ces cœurs blasés. Pour occuper l’insouciance de ces esprits fatigués de stérilité, usés d’oisiveté, pour remplir la journée de ces malheureux riches, la création de Dieu ne suffit plus : dans leur orgueilleuse misère, ils appellent à leur secours l’esprit de destruction.

Toute l’Europe moderne s’ennuie ; c’est ce qu’atteste la manière de vivre de la jeunesse actuelle ; mais la Russie souffre de ce mal plus qu’aucune autre société ; car ici tout est excessif : vous peindre les ravages de la satiété dans une population comme celle de Moscou, ce serait difficile. Nulle part les maladies de l’âme engendrées par l’ennui, par cette passion des hommes qui n’ont point de passions, ne m’ont paru aussi graves ni aussi fréquentes qu’elles le sont en Russie parmi les grands : on dirait qu’ici la société a commencé par les abus. Quand le vice ne suffit plus pour aider le cœur de l’homme à secouer l’ennui qui le ronge, ce cœur va au crime. C’est ce que je vous prouverai plus tard.

L’intérieur d’un café russe est assez singulier : figurez-vous une grande salle basse et mal éclairée qui se trouve ordinairement au premier étage d’une maison.