Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 3, Amyot, 1846.djvu/366

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le prince ***, fils unique d’un homme fort riche ; mais ce fils dépense le double de ce qu’il a, et il traite son esprit et sa santé comme sa fortune. La vie de cabaret lui prend dix-huit heures sur vingt-quatre, le cabaret est son empire ; c’est là qu’il règne, c’est sur cet ignoble théâtre qu’il déploie tout naturellement et sans le vouloir de grandes et nobles manières ; il a une figure spirituelle et charmante, ce qui est un avantage partout, même dans ce monde-là où cependant le sentiment du beau ne domine pas ; il est bon et malin ; on cite de lui plusieurs traits d’une rare serviabilité, même d’une sensibilité touchante.

Ayant eu pour gouverneur un homme très-distingué, un vieil abbé français émigré, il est remarquablement instruit : son esprit vif est doué d’une grande sagacité, il plaisante d’une façon qui n’est qu’à lui, mais son langage et ses actions sont d’un cynisme qui paraîtrait intolérable partout ailleurs qu’à Moscou ; sa physionomie agréable, mais inquiète, révèle la contradiction qu’il y a entre sa nature et sa conduite ; usé de débauche avant d’avoir vécu, il est courageux dans une vie de dégradation, qui pourtant nuit au courage.

Ses habitudes de libertinage ont imprimé sur son visage les traces d’une décadence prématurée ; toutefois ces ravages de la folie, non du temps, n’ont pu altérer l’expression presque enfantine de ses traits no-