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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 3, Amyot, 1846.djvu/382

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bien qu’elle n’influe guère sur l’esprit de la masse. L’Empereur ne fait pas tout ce qu’il peut, car s’il le faisait souvent, il ne le pourrait pas longtemps ; or, tant qu’il ne le fait pas, la condition du noble qu’il laisse debout reste terriblement différente de celle du mougik ou du petit marchand écrasé par le seigneur. Je soutiens qu’il y a aujourd’hui en Russie plus d’inégalité réelle dans les conditions que dans tout autre pays de l’Europe. L’égalité au-dessous du joug est ici la règle, l’inégalité est l’exception, mais, sous le régime du caprice, l’exception l’emporte.

Les faits humains sont trop compliqués pour les soumettre à la rigueur d’un calcul mathématique, aussi vois-je régner sous l’Empereur, entre les castes qui composent l’Empire, des haines qui n’ont leur source que dans l’abus des pouvoirs secondaires, et j’y cherche en vain cette égalité fabuleuse qu’on m’annonçait.

En général, les hommes ont ici le langage doucereux : ils vous disent d’un air mielleux que les serfs russes sont les paysans les plus heureux de la terre. Ne les écoutez pas, ils vous trompent ; beaucoup de familles de serfs, dans les cantons reculés, souffrent même de la faim ; plusieurs périssent par la misère et les mauvais traitements ; partout l’humanité pâtit en Russie, et les hommes qu’on vend avec la terre pâtissent plus que les autres ; mais ils ont droit aux