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Page:Déguignet - Mémoires d un paysan bas breton.djvu/1

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MÉMOIRES


D’UN


PAYSAN BAS-BRETON




— PREMIÈRE SÉRIE —




C’était en 1897, un soir de juin. J’habitais alors la vieille maison de Stang-ar-C’hoat, à l’orée de Quimper. On vint m’avertir qu’un glazik était dans le jardin, qui demandait à me parler. Glazik — comme qui dirait : « azuré » — est le terme par lequel on désigne en breton, à cause de leur veste et de leur pourpoint bleu de roi, les paysans de la région cornouaillaise comprise entre Rosporden et Pont-Labbé. Je priai que l’on fît entrer le visiteur et je vis paraître un homme d’une soixantaine d’années, très vert encore d’aspect et d’allure, plutôt petit, bas sur jambes et les épaules trapues, tout à fait le type du paysan quimpérois dont il portait le costume et dont il avait tout l’extérieur, avec cette particularité, néanmoins, qu’au lieu d’avoir la figure rasée, comme ses pareils, il laissait librement pousser sa barbe couleur d’étoupe, qui lui hérissait le visage d’une abondante broussaille inculte. Il était chaussé de sabots. Ses vêtements étaient propres, quoique fatigués.

Il se présenta le plus décemment du monde, gardant à la main son chapeau de feutre à larges bords, orné d’un ruban de velours noir, un tantinet fripé, dont les bouts pendaient. Je le fis asseoir et, pensant le mettre ainsi plus à l’aise, j’entamai le colloque en breton.

— Si vous voulez bien, dit-il, nous parlerons français. Je le sais un peu.

Je ne fus pas long à m’apercevoir qu’il le savait fort couramment et qu’il s’en servait même, le plus souvent, avec une justesse d’expression que bien des bourgeois lui eussent enviée. Il poursuivit :