Aller au contenu

Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, V.djvu/112

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses ennemis : cependant il y a, dit-on, vingt-quatre jésuites à Versailles ; ce sont les vingt-quatre vieillards des Provinciales ou de l’Apocalypse, comme il vous plaira. Le parlement ne les y voit pas de bon œil, et se propose, dit-on, dès qu’il sera rentré, d’enfumer les terriers où se sont accroupis ces renards, ou plutôt ces vieux lapins, car ils ne sont plus guère renards. L’abbé Chauvelin sera dans cette chasse le basset à jambes torses.

Eh bien, que dites-vous de la paix ? et croyez-vous, pour le coup, que votre ancien disciple s’en tire ? Ce serait un grand malheur pour la philosophie que la maison d’Autriche, encore superstitieuse, fût la maîtresse de l’Allemagne, où la vigne du Seigneur ne laisse pas de fructifier. On dit que pour dédommager la maison de Saxe, qui a bien l’air de payer les frais, on donnera un évêché en France ou en Allemagne au prince Clément ; ce sera une maison crossée et mitrée. À propos de ceux qui la crossent, avez-vous des nouvelles de la czarine ? On a mis, dans le Journal encyclopédique, une lettre où on parle des propositions qu’elle a eu la bonté de me faire. Les journalistes ont ajouté une note où ils disent, assez mal-à-propos, que je suis aussi cher à la France qu’à la Russie ; je crois bien être cher à quelques Français qui me le sont aussi ; mais cher à la France, tout me prouve que je n’ai pas l’honneur de l’être.

Je vois, par ce que vous me mandez, que nous ne tarderons pas à avoir le Corneille. N’oubliez pas de le louer beaucoup quand il est sublime ; et quand il est rabâcheur, faites-le sentir sans le dire : vous y gagnerez et l’art y gagnera, parce que vous direz vrai et ne blesserez personne. Je vous félicite, au surplus, de tous les plaisirs dont vous jouissez ; je ne doute point, sur ce que vous m’en dites, de la bonté de vos acteurs ; je crois pourtant que vous aimeriez bien autant Clairon et Préville, si vous les aviez. On vient de m’apporter le billet d’enterrement du pauvre Sarrazin, que vous m’avez entendu si bien contrefaire. Vous pourriez me dire comme Phèdre :

Seigneur, il n’est point mort, puisqu’il respire en vous.

À l’égard de l’infâme, si les dégoûts qu’on lui donne continuent, il ne sera pas nécessaire de lui arracher le masque, il tombera de lui-même ; en tout cas, je crois trop dangereux de l’arracher, mais très bien fait de le décoller peu à peu. Plus fait douceur que violence.

Adieu, mon cher et illustre philosophe, portez-vous bien, moquez-vous de tout, et même des méchancetés qu’on veut vous faire, et aimez-moi comme je vous aime. Je vous em-