Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, V.djvu/160

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Réponse, je vous prie, sur les deux vers latins ; j’en suis un peu pressé. J’oubliais de vous dire que mademoiselle Clairon a déjà rendu le pain bénit ; voilà ce que c’est que de quitter le théâtre.


16 juillet 1766.


Avez-vous connu, mon cher maître, un certain M. Pasquier, conseiller de la cour, qui a de gros yeux, et qui est un grand bavard ? On a dit de lui que sa tête ressemblait à une tête de veau, dont la langue était bonne à griller. Jamais cela n’a été plus vrai qu’aujourd’hui ; car c’est lui qui, par ses déclamations, a fait condamner à la mort des jeunes gens qu’il ne fallait mettre qu’à Saint-Lazare. C’est lui qui a péroré, dit-on, contre les livres des philosophes, qu’il a pourtant dans sa bibliothèque, et qu’il lit même avec plaisir, comme le lui a reproché une femme de ma connaissance ; car il n’est point du tout dévot, et c’est lui qui du temps de M. de Machault fit contre le clergé une assez plate levée de boucliers dans une assemblée de chambres. Quoi qu’il en soit, je ne sais ce que les jeunes écervelés, condamnés par nosseigneurs, ont dit à leur interrogatoire ; mais je sais bien qu’ils n’ont trouvé dans aucun livre de philosophie les extravagances qu’ils ont faites, extravagances au reste qui ne méritaient qu’une correction d’écoliers ; car le plus âgé n’a pas vingt-deux ans, et le plus jeune n’en a que seize. On vous aura sans doute envoyé le vil arrêt qui les condamne, arrêt digne du siècle de Robert. Vous verrez la belle kirielle des crimes qu’on leur reproche, et qui ne sont que des sottises de jeunes gens libertins et échauffés par la débauche. En vérité, il est abominable de mettre à si bon marché la vie des hommes. Il y a ici un religieux italien, homme d’esprit et de mérite, qui ne revient point de cette atrocité, et qui dit qu’à l’inquisition de Rome ces jeunes fous auraient tout au plus été condamnés à un an de prison. Au reste, le seul de ces jeunes gens qui ait été exécuté, car les autres sont en fuite, est mort avec un courage, ou ce qui est encore mieux, un sang-froid digne d’une meilleure tête. Il a demandé du café, en disant qu’il n’y avait pas à craindre que cela l’empêchât de dormir. Le bourreau a voulu se joindre au confesseur pour l’exhorter, il a prié le bourreau de se borner à son ministère : il lui a seulement recommandé de ne le point faire souffrir, et de lui bien placer la tête ; et ses derniers mots, étant à genoux et les yeux bandés, ont été, suis-je bien comme cela ? Vous savez qu’on a brûlé, conjointement avec lui, le Dictionnaire philosophique, où il n’a assurément rien