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Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, V.djvu/166

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plus à cette belle expédition que de mettre la famine dans le pays de Gex et dans le Bugey, pour n’avoir pas remercié M. de Beauteville de son digne et éloquent discours.

Vous croyez donc qu’on ne vend que cent exemplaires d’un discours de l’Académie ? détrompez-vous : ces sortes d’ouvrages sont plus achetés que vous ne pensez ; tous les prédicateurs, avocats, et autres gens de la ville et de la province, qui font métier de paroles, se jettent à corps perdu sur cette marchandise.

À propos d’avocats et de paroles, avez-vous lu un très bon Discours sur l’administration de la justice criminelle, prononcé au parlement de Grenoble par un jeune avocat-général, nommé M. Servan ? vous en serez, je crois, très content : je voudrais seulement que le style, en certains endroits, fût un peu moins recherché ; mais le fond est excellent, et ce jeune magistrat est une bonne acquisition pour la philosophie.

J’imagine que l’ouvrage sur les courbes, qu’on imprime actuellement à Genève, sera bientôt fini. Dites, je vous prie, à l’imprimeur de n’en envoyer d’exemplaires à personne, avant que l’auteur n’en ait au moins un ; car il est désagréable que des ouvrages de science courent le monde avant que l’auteur sache au moins s’ils sont correctement imprimés.

Faites-moi le plaisir de remettre cette lettre à M. de La Harpe : je lui mande d’écrire un mot d’honnêteté à M. de Boulogne, intendant des finances, auprès duquel j’aurai soin de ménager ses intérêts, quand l’occasion me paraîtra favorable. Son discours a beaucoup plus de succès que celui de son concurrent ou post-concurrent Gaillard, qui s’est avisé de faire une note où il dit que la superstition appuyée de l’autorité légitime a droit de faire respecter ses oracles, et que le rebelle a toujours tort : imaginez-vous quelle bêtise ! il n’a dit cette impertinence que pour justifier la persécution contre les philosophes ; et il résulte de son beau principe que les persécutions contre les chrétiens même étaient très justes. Ainsi il aura contre lui, par ce beau trait de plume, et dévots et anti-dévots ; j’en ai dit hier mon avis en pleine Académie, et nos dévots même ont trouvé que j’avais raison. On dit pourtant du bien de ce Gaillard, mais il a des liaisons avec gens qui me sont suspects : dis-moi qui tu hantes, etc. Ses notes n’ont point été lues à l’Académie : je vous prie de croire qu’on n’eût pas souffert celle dont je vous parle.

Croyez-vous que les gloire-eu, victoire-eu, etc., qui sont si choquantes dans notre musique, soient absolument la faute de notre langue ? Je crois que c’est, au moins pour les trois quarts, celle de nos musiciens, et qu’on pourrait éviter cette désinence désagréable en mettant la note sensible (madame Denis me