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Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, V.djvu/179

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de cet avis, et pensent que la Sorbonne a déjà eu dans cette affaire sa dose d’opprobre assez complète pour ne pas grossir davantage la pacotille.

Adieu, mon cher et illustre maître ; je vous recommande l’ouvrage de mathématiques, abandonné si vilainement aux barbiers de Calvin. Voulez-vous bien remettre cette lettre à M. de La Harpe ? J’écris par le même courrier à Chabanon, qui me paraît bien pénétré de reconnaissance et d’attachement pour vous. Les expressions de son cœur, à votre sujet, m’ont autant plus attendri, que j’y retrouve les sentiments du mien. Vous ne sauriez croire combien il est sensible à l’intérêt que vous prenez à son ouvrage, et combien il sent le prix de vos conseils. Je le recommande à votre amitié pour lui, et à celle que vous avez pour moi. Vous pouvez être bien sûr que vous obligez en lui l’âme la plus honnête et la plus reconnaissante. Il me mande, ainsi que M. de La Harpe, dont je ne vous parle point, parce que je sais combien vous l’aimez, et combien il en est digne, que vous avez été malade, et que pendant ce temps vous avez fait une comédie ; vos maladies font honte a la santé des autres. À propos, vraiment j’oublie de vous dire, car j’oublie tout, que je suis enchanté de l’Ingénu, quoique ce ne soit pas le neveu de l’abbé Bazin qui l’ait fait, comme il est évident dès la première page : on dit que c’est un petit-fils de l’abbé Gordon, qui me paraît avoir très bien élevé cet enfant-là. Les ennemis du P. Quesnel, qui n’aiment pas qu’on les voie ingénument tels qu’ils sont, ont si bien fait, que l’ouvrage vient d’être défendu. Il est vrai qu’il n’y en avait eu que trois mille cinq cents de vendus en quatre ou cinq jours, au moyen de quoi personne n’en aura. Ce petit-fils de l’abbé Gordon est un fin courtisan ; il a appris à ses semblables qu’avec un petit mot d’éloge on fait passer bien de la contrebande. La recette est bonne, sans doute, mais un peu difficile à avaler. Iterum vale, mon cher maître ; je vous embrasse de tout mon cœur.


Paris, 18 janvier 1768.


Jai reçu, mon cher et illustre maître, la lettre de Genève, que vous avez bien voulu m’envoyer, et que j’aurais laissée à la poste de Genève, si j’avais pu deviner le peu d’importance du sujet. J’ai reçu aussi certaines Lettres de Rabelais, qui me paraissent de son arrière-petit-fils, à qui le ciel a donné le précieux avantage de se moquer de tout, comme son bisaïeul, mais de s’en moquer avec plus de finesse et de goût. Ces lettres me rappellent un certain dîner du comte de Boulainvilliers, auquel j’assistai