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Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, V.djvu/192

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resse ceux qui les font. La critique de Linguel aurait pu être meilleure et de meilleur goût ; cependant, comme il a raison presque en tout, elle a beaucoup chagriné son maussade adversaire ; la liste des phrases tirées de la traduction est bien ridicule, et peut-être aurait suffi.

Vous devez des regrets au pauvre Damilaville ; il vous était bien attaché. Je savais qu’il était marié, mais non par lui, car il ne me disait rien de ses affaires. J’ai vu sa femme une seule fois, et, d’après cette vue, je doute fort qu’il ait été cocu ; mais ce qui me fâche le plus, c’est que cette vilaine mégère (car c’en était une) emporte tout le peu qu’il laisse, et qu’il ne restera pas même de quoi payer un bon domestique qu’il avait.

Je n’ai point lu la collection des ouvrages de Leibnitz ; je crois que c’est un fatras où il y a bien peu de choses à apprendre.

Il est vrai que j’ai donné cette année deux gros volumes in-4o. de géométrie ; ce seront vraisemblablement les derniers.

Notre secrétaire, toujours convalescent et assez faible, vous fait mille compliments. Quant à l’A, B, C, personne n’ignore qu’il est en effet traduit de l’anglais par un avocat. Vale et me ama.


Paris, 19 janvier 1769.


Vous aimez la raison et la liberté, mon cher et illustre confrère, et on ne peut guère aimer l’une sans l’autre. Eh bien, voilà un digne philosophe républicain que je vous présente, et qui parlera avec vous philosophie et liberté ; c’est M. Jennings, chambellan du roi de Suède, homme du plus grand mérite et de la plus grande réputation dans sa patrie. Il est digne de vous connaître, et par lui-même et par le cas qu’il fait de vos ouvrages, qui ont tant contribué à répandre ces deux sentiments parmi ceux qui sont dignes de les éprouver. Il a d’ailleurs des compliments à vous faire de la part de la reine de Suède et du prince royal, qui protègent dans le nord la philosophie si mal accueillie par les princes du midi. M. Jennings vous dira combien la raison fait de progrès en Suède, sous ces heureux auspices. Les prêtres n’ont garde d’y faire comme le roi, et d’offrir aux peuples leur démission, ils craindraient d’être pris au mot. Adieu, mon cher et illustre confrère ; continuez à combattre, comme vous faites, pro aris et focis. Pour moi, qui ai les mains liées par le despotisme ministériel et sacerdotal, je ne puis que faire comme Moïse, les lever au ciel pendant que vous combattrez. Je vous embrasse de tout mon cœur.