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Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, V.djvu/252

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idées creuses, et nous persuader de l’existence d’un peuple qui nous a tout appris, excepté son histoire et son nom. Adieu, mon chef maître. En lisant tout ce qui s’imprime aujourd’hui (qu’heureusement pour moi je ne lis guère), je pourrais dire comme Pourceaugnac : Jamais je n’ai été si soûl de sottises. Continuez de nous en consoler en vivant, en vous portant bien, et en écrivant. Tuus ex animo.

Bertrand.


Paris, 2 mai 1777.


Vous avez cru, mon cher maître, aller voir les sombres bords, et moi j’ai un estomac qui, je crois, m’y mènera bientôt. Je viens d’écrire à votre ancien disciple que cet estomac maudit ne me permettait plus de projeter d’autres voyages que celui de l’autre monde (si autre monde y a), et que j’irais bientôt attendre sa majesté sur les rives du Styx, en faisant néanmoins des vœux, comme de raison, pour ne l’y pas voir sitôt. J’ai autant de peine à digérer ce que je mange, que ce que je vois et ce que j’entends ; et je ferai mes adieux, sans beaucoup de regret, à un monde ou il se fait et se dit tant de sottises. Le pauvre Delille est actuellement aux pieds de la cour ; nous attendons son jugement qui suivra de près celui de votre Childebrand et de sa gueuse. Je suis quelquefois tenté de croire à la Providence, quand je vois le sort de Cartouche-Fréron, et de Mandrin-Childebrand ; mais je change d’avis quand je vais à la garde-robe, et je ne vois pas quel plaisir cette Providence peut avoir à une mauvaise déjection. Quelque chose qu’elle fasse, je lui pardonnerai, mon cher et illustre ami, tant qu’elle vous conservera. Nous avons ici le comte de Falkenstein ; je ne sais s’il viendra à nos Académies ; il est déjà venu voir nos portraits, et peut-être aimera-t-il mieux nos portraits que nos personnes. Il est bien le maître, et peut-être aura-t-il raison. Adieu, mon cher et illustre philosophe ; je vous aime mieux que tous les comtes, tous les empereurs et tous les rois, et je vous embrasse bien tendrement.

Tuus Bertrand.


Paris, 23 juin 1777.


Il y a un siècle, mon cher et illustre ami, que je ne vous ai ennuyé de mon bavardage ; je suis bien sûr au moins de ne pas vous ennuyer aujourd’hui. Celui qui vous portera ma lettre, la rendra intéressante pour vous : c’est M. Delille, qui a pensé être