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Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, V.djvu/41

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À LA MÊME.


17 janvier 1753.


Eh bien ! madame, puisque vous êtes si contente de mes lettres, je vous permets de les garder, et de les faire lire à Formont, pourvu que d’autres que lui ne soient pas du secret. Je crois que vous tenez à présent mon livre, et je serais fort flatté que vous en fussiez aussi contente que vous l’avez été de mes lettres. Depuis huit jours qu’il est en vente, il s’en est déjà enlevé sept à huit cents : il fait, ce me semble, plusieurs enthousiastes, surtout parmi les gens de lettres, et quelques frondeurs qui croient que j’ai voulu les peindre, quoique je ne leur aie jamais fait l’honneur de penser à eux.

Tout ce qu’on vous a mandé de Voltaire est très vrai ; il est on ne peut plus mal avec le roi de Prusse : il a fait contre Maupertuis une brochure injurieuse, qui a été brûlée par la main du bourreau, ce qu’on n’avait point vu à Berlin de mémoire d’homme. Il a nié qu’il en fût l’auteur, et ne l’a avoué que lorsque le roi de Prusse l’a menacé d’une amende qui le réduirait à l’aumône. Je ne vous chasse point, lui a dit le roi parce que je vous ai appelé ; je ne vous ôte point votre pension, parce que je vous l’ai donnée ; mais je vous défends de paraître jamais devant moi. Il est actuellement un des plus malheureux hommes de la terre.

Je n’ai aucune part à la brochure en style de prophétie, ni Diderot non plus, quoiqu’on la lui ait attribuée ; mais comme vous je la trouve très plaisante. La musique française prend actuellement le dessus sur la musique italienne, car l’opéra nouveau de Mondonville, quoique très médiocre, réussit beaucoup : cela changera peut-être la semaine prochaine ; dans ce pays-ci il ne faut compter sur rien.

J’ai bien mal interprété votre dernière lettre ; j’avais cru y voir une espèce d’effroi de votre état passé, mais j’aime encore mieux que cet état n’ait rien d’effrayant pour vous. Je vis hier Pont-de-Vesle à l’Opéra : nous parlâmes beaucoup de vous ; je lui dis que vous n’aviez commencé à être malheureuse que du jour que vous aviez été plus à votre aise, et que cela me faisait grand peur de devenir riche : il est vrai que cette peur-là est un peu gratuite, car ma conduite, mes lettres et mes écrits y mettent bon ordre. Adieu, madame : j’aspire avec beaucoup d’impatience au moment de vous revoir, et j’attends votre jugement sur mon ouvrage. Si par hasard j’avais mis dans le paquet où étaient mes