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Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, V.djvu/94

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pas bien, et qu’il avait eu raison de jeter quelques doutes sur sa santé.

Admirez, mon cher philosophe, combien la raison gagne de terrain ; cet ennemi de la persécution, qui travaille si bien à la rendre ridicule, est un prêtre, ci-devant théologien ou théologal de l’Encyclopédie, qui nous a donné pour cet ouvrage l’article Figure, où vous verrez entre autres que S. Ambroise ou S. Augustin ( je ne sais plus lequel ) compare les dimensions de l’arche à celle du corps de l’homme, et la petite porte de l’arche au trou du derrière ; c’est un beau passage qui vous a échappé dans votre chapitre sur les allégories.

Comme il faut encourager les gens de bien, écrivez-moi, je vous prie, un mot d’honnêteté pour cet honnête ecclésiastique ; il le mérite par son zèle pour la bonne cause, et par son respect pour vous.

Je ne sais si je vous ai prié de remercier M. le chevalier de Molmire de ses Étrennes aux sots, et M. le rabbin Akib de son sermon. Je vous prie de leur dire à l’un et à l’autre que si l’un s’avise encore de prêcher, et l’autre de donner des étrennes, ils n’oublient pas de m’en faire part.

Nous continuons à lire vos remarques sur Corneille, et nous venons de finir Héraclius. Je prends la liberté de vous répéter à ce sujet ce que vous m’avez déjà permis de vous dire ; ne critiquez Corneille que lorsque vous aurez deux fois raison ; il a un nom très respecté, il est mort ; voilà déjà une raison bien forte (je ne vous dis pas bien bonne) en sa faveur. Vous savez mieux que moi que, dans un genre tel que celui du théâtre, dont les règles renferment beaucoup d’arbitraire, on peut condamner et justifier presque tout ; et pour peu que Corneille soit justifiable par des raisons telles quelles, dans les endroits où vous l’attaquez, vous êtes sûr d’avoir contre vous les pédants et les sots, qui déchireraient Corneille s’il n’était pas mort, et qui seront bien aises de vous déchirer parce que vous êtes vivant. Attendez-vous, par exemple, au mal qu’ils diront de Zulime. Je ne ferai pas chorus avec eux, car cette pièce m’a fait beaucoup de plaisir, au moins dans le rôle principal ; j’y trouve la passion bien ressentie, bien exprimée et bien différente de cet amour de ruelle qui affadit notre théâtre.

Si par hasard vous connaissez l’auteur de l’Écueil du sage, dites-lui aussi, je vous prie, que son ouvrage m’a fait plaisir, qu’il est surtout très moral, et par cette raison digne de rester au théâtre ; que le troisième et le quatrième acte sont excellents, qu’il y a dans les autres des scènes fort agréables, et des détails fort intéressants. J’y voudrais un autre cinquième acte : la pièce