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Page:D’Esparbès - Le Roi (1910).djvu/114

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LE ROI

lait-il pas être écrasé ? Mais l’instant n’était pas venu. Il prévit l’imprudence d’un rôle quelconque, recula de la scène, amassa de l’ombre autour de lui, se creusa un gite, et le fils de Jeanne, l’élève de Coligny, cet amoureux d’amitié se reconnut seul.

Au lieu de l’abattre, cette solitude le haussa. Seul, mot des aventuriers, le plus mélancoliquement sublime, peut-être, du langage humain. Seul, mot qui exalte, coup de gong sur nos désespoirs et nos sommes, flamme qui tord nos nerfs comme des fils et roule son métal divin dans le sang páli de nos veines. Seul : puissance et silence, volonté et sérénité, attitude de Dieu.

— Que devient le roitelet ? chuchotait la cour, on ne le voit plus.

— Il était hier aux halles, très affairé sur les paniers de quelques marchandes ; on dit qu’il se fait construire un vivier pour l’élevage de certains poissons.

— Il n’est done plus ambitieux ? Et le grand rêve huguenot ? les projets de son maître l’amiral ?

— Abandonnés ! oubliés ! Il n’est plus l’homme que nous connûmes, hardi aubien, fier et jacassier comme un sifflet neuf. Un dégoût de lui-même, le désespoir de n’être ici qu’un nom sans poids et les humeurs de sa solitude, peut-être, l’ont rendu ivrogne et gourmand ; son seul plaisir est de boire