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Page:D’Esparbès - Le Roi (1910).djvu/234

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LE ROI

(Il regarda le camp) Parce qu’ils m’ont vu chanter bouffonneries, croyez-vous que ces soldats m’en tiennent pour abaissé ? Ils me chériront d’autant plus, croyez-le. (Haussant l’épaule) Dignité, fille de l’orgueil et de l’ennui. D’Urgosse, servez-moi un verre de clairet, je vous prie, car j’ai grand chaud.

Il allait boire, lorsque tout à coup M. de Vielcapet vint l’avertir que le « bagage » était tombé, vivres et mules, à quatre lieues de là, dans un trou de ravin.

Brasseuses arrivait ensuite.

— Les vivres ne nous rejoindront qu’à la nuit, sire.

— Partout la plaine, dit le Béarnais tristement. Le sable, tant il fait soleil, semble cuit. Et nos hommes qui ont tant marché n’auront rien à boire…

Il versa son vin sur le sol.


Apprit-on cela ? Les douze cents hommes s’étaient à peine étendus dans l’herbe, agonisants de fatigue, qu’une délectable chose, aussitôt, les frappa d’immobilité. Au centre de leur troupe, si proche d’eux qu’il leur eût suffi d’avancer la main, une vigne retardataire s’élançait au ciel, tordue aux branches d’un prunier mort, et offrait à leur soif brûlante, comme une mamelle, la grappe d’un raisin unique. Fiévreuse, ivre de soif, ses lèvres sèches et gâtées, la foule en stupeur contemplait ce fruit