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Page:D’Esparbès - Le Roi (1910).djvu/246

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LE ROI

À mesure qu’il montait, les fautes qu’il avait commises pesaient sur son cœur, des mots éclatants irradiaient la nuit de sa mémoire, il se mortifiait déjà, car il sentait bien, pour l’avoir éprouvé un jour, qu’il montait vers l’indivisible trinité, vers les trois visages de sa Conscience.

Debout devant les portes, le roi en poussa une, s’arrêta au seuil de la chambre.


Trois métiers à tapisserie, de haute lisse, y étaient seuls installés. Rien n’y manquait : la chaine verticale comme une immense harpe de fils blancs, les bâtons de croisure, et le peigne d’ivoire qui devait servir à tasser, puis à égaliser le tissu. Autour de ces trois métiers, épars dans la grande salle, mille pelotons de laine gisaient en multicolores tas rouges, bleus, vermeils ; il y en avait de dorés, mais il y en avait aussi de noirs.

À travers chaque trame, derrière les fils tendus, régnait un visage. Trois ombres, trois spectres féminins aux cheveux grisâtres, aux traits troubles, aux regards droits et froids, aux fronts impénétrables et aux lèvres closes occupaient les trois métiers vierges. Immobiles comme l’attente, ces femmes avaient une main levée sur le bâton de croisure, l’autre inerte, et regardaient, tragiques, par delà le prince éperdu, l’Invisible.

On n’eût pu les reconnaître, on n’eut pu aussi les nommer ; elles manquaient de réel visage et n’avaient point de patrie. Elles venaient d’on ne