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LE ROI

enfant naitra : « Voyez ! voyez ! la brebis, cette fois, vient d’enfanter un lion ! » Si tu as du courage, si tu accomplis ce que je t’ordonne, j’aurai le lion de ma race, tu jetteras bas un héros, un homme, et non un enfant « pleureux et rechigné ». Mais il te faudra reprendre alors mes paroles, mes ordres, et les exécuter au serré, sans barguignades ni prières. Prépares-y ton cœur et tes reins ; va, et souviens-toi.

— Je me rappellerai, mon père, je me rappellerai…

Elle s’en alla, défaillante, aux bras des femmes, et se mit au lit.

Et dès lors, l’ours d’Albret se promena seul dans les salles, lugubre, une flamme inquiète dans l’œil. On n’entendait tout le jour, toute la nuit, que ce glissement de bête soupirante, de fantôme mince et courbé, à l’ombre longue. Le château averti faisait silence.

Pendant ce temps, brisée de fièvre, pâle en son lit, et faisant signe aux femmes qui la veillaient d’étouffer leurs pas, de se taire, la Dame de Navarre, en terreur, écoutait son enfant remuer, détordre lentement ses bras, ses jambes, relever la tête, et se préparer dans le mystère de son sein au règne et à la vie. Le 12 décembre, elle devina le roi prêt.

— Voici le moment… soupira-t-elle.

Une ombre ondoya au seuil de la porte ; Albret regarda sa fille, leva un doigt… Dressée dans le