Aller au contenu

Page:D’Esparbès - Le Roi (1910).djvu/36

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
16
LE ROI

un ours, des lévriers, le singe d’Isabelle et des boues bleus en expectative sur les balustres confondirent l’ahurissant désordre de leurs voix au choc sourd des pieux, des hallebardes grinçantes, aux cris des capitaines, des femmes broyées, au sanglot tremblé des brebis, grogneur et sifflé des ânes, à l’insolite et profond appel des paons dardés, queues ouvertes, sur les hauts dressoirs, et au heurt, à l’ahan d’orage, au halètement de roue, au refrain régulier, féroce, mais quand même fier, joyeux « par ordre » de la mère qu’on délivrait ! Ces chants d’enthousiasme, de terreur et de joie grossiers annoncèrent le monde à l’enfant royal. On l’arracha de la reine horrible dont la voix se tut, cassée soudain, — et repoussant la tapisserie, blanc comme un fantôme, Henry II d’Albret, les bras hauts, l’éleva sur la foule humaine et animale :

Voici le lion ! cria-t-il, le lion de France enfanté en chantant par la brebis de Navarre !

Un silence tomba : gens et bêtes regardaient celui qui allait tous les aimer…

— Place ! commanda une voix.

Au signe de la canne blanche de l’huissier, une haie se creusa entre les animaux et les hommes, et on vit du fond de la salle s’avancer vers l’enfantelet deux domestiques de la bouche qui présentaient sur deux plateaux de vermeil, l’un la gousse d’ail, et l’autre le vin.