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Page:D’Esparbès - Le Roi (1910).djvu/94

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LE ROI

et désordonne la maison : ainsi s’accomplirent dans ce corps, sans que le cerveau s’y opposât, les ravages terribles de la « peur ». Le maître souverain, l’Esprit avait à peine fui cet enfant que l’épaisse servante aveugle, la Moelle, s’en empara, ébranlant ses centres nerveux pour la bousculade des muscles ; et l’agitation dérisoire, les mouvements irrésistibles de la déchéance du corps commencèrent.

Sous l’influence de cette peur qu’il éprouvait, inerte, la première fois de sa vie, de cette peur qui ne l’abandonna jamais et qu’il dut si souvent combattre au cours de son aventure, l’œil droit du prince de Navarre, sans force, palpita, puis les deux se fermèrent. Au moment de voir le danger, il avait du pain sur la langue ; les nerfs, aussitôt, avisèrent la moelle qui se fit sourde : aucune contraction, et la bouchée de pain s’immobilisa dans la gorge comme du bois sec.

Les coups de la servante ivre se précipitaient de plus en plus. Malicieux et vibrants, mille petits nerfs mordirent les canalicules du visage, le sang s’arrêta, la tête gasconne devint pâle. « Blanc comme un lâche ! » s’écrièrent-ils. Et déjà victime de ces minuscules démons, l’enfant ne bougea pas. Les autres nerfs, alors, imitèrent ceux qui avaient frappé au visage, écrasèrent les nombreux tunnels qui portaient la vie dans les membres, le dos du prince se glaça. « Vantard ! cria la moelle, tu froidis de peur. Aux jambes ! » les jambes devinrent raides. « Aux bras ! » les bras gelèrent. « Aux