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Page:Daire - Physiocrates.djvu/111

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son cœur, mais il ne lui fut pas donné de voir les autres. La goutte, dont l’âge avait rendu pour lui les attaques plus dangereuses, l’emporta trois mois après cet événement, et il mourut octogénaire le 16 décembre 1774. Sa fin fut celle d’un sage qui ne démentait pas, à ses derniers moments, la résignation courageuse avec laquelle il avait toujours supporté les misères inséparables de l’existence. « Console-toi, dit-il à son domestique qui pleurait près de son lit, console-toi, je n’étais pas né pour ne pas mourir ; regarde ce portrait qui est devant moi ; lis au bas l’année de ma naissance ; juge si je n’ai pas assez vécu. »

L’on peut dire que, pendant le cours de cette longue carrière, Quesnay ne cessa jamais d’être l’homme de ses propres écrits qui, tous, accusent un caractère ferme, un esprit droit et plein d’indépendance, un cœur honnête et vivement pénétré de l’amour du bien public.

« Il possédait au suprême degré, rapporte l’un de ses biographes, l’art de connaître les hommes. Il les forçait, pour ainsi dire sans qu’ils s’en aperçussent, à se montrer à ses yeux tels qu’ils étaient. Aussi accordait-il sa confiance sans réserve a ceux qui la méritaient, et le long usage de la cour l’avait mis à portée de parler sans rien dire aux autres : il ne les ménageait cependant à ce point que lorsqu’ils ne s’étaient pas trop démasqués ; ceux qui lui montraient à découvert une âme vile et corrompue pouvaient être sûrs, de quelque qualité qu’ils fussent, d’être traités comme ils le méritaient[1]. » Appréciant la richesse à sa juste valeur, il ne dédaigna pas de l’acquérir par des voies honorables, mais il refusa constamment d’employer son crédit soit pour lui-même, soit pour placer d’autres personnes que celles dont il croyait les services utiles à l’État. Sa famille le tourmentait pour obtenir a son propre fils une place de fermier-général : « Je ne veux pas, répondit-il, laisser pénétrer chez moi la tentation de prendre intérêt aux genres d’impôts qui arrêtent les progrès de l’agriculture et du commerce. Le bonheur de mes enfants doit être lié à la prospérité publique. » Quesnay mit ce fils à la tête de l’exploitation d’un grand domaine rural, ajoutant : « là, il ne pourra s’enrichir que d’une manière utile à la patrie. » Quoiqu’il logeât dans le palais même du roi, il ne compromit jamais la dignité de son caractère dans

  1. Grandjean de Fouchy, Éloge de Quesnay à l’Académie des sciences.