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Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/111

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absences d’Estelle qui fait des visites prolongées aux fonctionnaires allemands, tiennent à l’hôtel du Sabot d’or des conciliabules à n’en plus finir ; comment, dans ces conditions, pouvoir exposer mes griefs à Gédéon ?

L’occasion, pourtant, se présente, un jour qu’il est venu faire une commission à ma grand’mère. Je le prends à part, et je lui demande les raisons de son peu de considération pour ma personne. Il sourit et répond :

— Veuillez accepter toutes mes excuses, monsieur Jean ; j’aurais dû vous témoigner plus d’égards, surtout étant donnée la générosité dont vous avez fait preuve envers moi, l’autre jour, et qui est bien rare à votre âge. Quant aux raisons qui m’ont fait manquer au respect que je vous dois, je serais tout prêt à vous les exposer s’il vous était possible de vous départir en ma faveur de la seconde des pièces de cent sous dont, dernièrement, vous gratifia mon maître.

J’ai encore la pièce dans ma poche, et dédaigneusement je la tends à Gédéon qui la fait disparaître.

— J’ai l’honneur de vous remercier, dit-il ; mais toute peine mérite salaire. Je me suis permis de vous tutoyer parce que la France est aujourd’hui dans une situation terrible, et que je pense parfois que, dans des circonstances aussi tragiques, il ne doit plus y avoir ni inférieurs, ni supérieurs, mais seulement des Français.

— Mais, dis-je en rougissant de colère, car je crois que Gédéon se moque de moi, comment se fait-il, si vous êtes si bon Français, que vous n’alliez pas à la guerre ? Vous, et mon cousin Raubvogel, et M. Delanoix ?

— Nous allons à la guerre, répond Schurke, en secouant la tête ; nous sommes à la guerre ; nous y sommes, nous y sommes en plein. Seulement, voyez-vous, monsieur Jean, chacun a sa façon de faire la guerre ! Nous autres, nous faisons la guerre comme les gens qui ne se battent pas.

— Peuh ! fais-je avec dédain.