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Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/158

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tirer parti — devient une farce, dont les peuples ont à payer les frais bien plus en espèces qu’en nature, et qui menace de se jouer éternellement.

Au fond, l’enseignement qu’on nous donne est surtout moral ; je devrais dire immoral. On ne se lasse point de nous faire entendre que nous sommes des êtres supérieurs, faits pour dominer et commander ; on nous démontre d’une façon fort claire que, sans nous, la société se dissoudrait dans le chaos ; que cette société en désarroi ne se maintient que grâce à l’existence de l’armée, qui a seule survécu au milieu de la désorganisation générale ; et que l’armée, c’est nous. La Patrie, c’est l’Armée ; et l’Armée, c’est l’Officier. Par conséquent, on nous apprend à figurer la Patrie… Rossel écrivait : « Le Prince doit savoir la guerre, disait Machiavel ; aujourd’hui, le Prince, c’est le Peuple. » Mais on a fusillé Rossel parce qu’il ne fallait pas que le peuple sût la guerre. C’est l’officier qui doit la savoir ; et il n’a pas beaucoup de mal à l’apprendre. Il n’a qu’à se persuader qu’il incarne, qu’il représente la Patrie.

Soit. Mais alors, je me demande pourquoi on ne nous distribue pas le seul livre qui nous serait de quelque utilité pour régler notre attitude : le Manuel du Parfait Vainqueur (traité de la Victoire morale). Une chose que je ne me demande plus, par exemple, c’est la cause de nos désastres de 1870. Elle m’apparaît. Je commence à percevoir en même temps que, pour que la guerre reprenne une signification et tende à disparaître, il faut que le Peuple fasse la guerre par lui-même et pour lui-même. Et je me rends compte de tout l’odieux et de tout le ridicule de cette comédie du Relèvement qui se déroule, depuis tant d’années déjà, sous la voûte d’acier formée par des épées trempées dans l’eau bénite.

Toute l’instruction technique qu’on nous donne, en